VITADIS

Des objets connectes à integrer

La petite PME Vitadis (80) adopte toutes les technologies disponibles. Des pneus connectés à de multiples systèmes de localisation et de traçabilité, elle vise une homogénéité des systèmes, dont elle peine à obtenir l'intégration.



Yves Sauvage aime à dire qu'il « empile les galets ». Sans plus d'états d'âme, quitte à friser la redondance, il investit largement pour être à la pointe des technologies, dont il est capable de mesurer les retours sur investissement. Depuis 25 ans, il mène la barque de Vitadis, une entreprise de 30 camions dont 27 poids lourds, installée à Flixecourt, dans la Somme. « Vitadis est tournée vers l'urgence, commence-t-il. Nous avons démarré en utilitaires légers, mais aujourd'hui, nous opérons 90 % de ces courses en véhicules industriels. Le marché léger est devenu trop concurrentiel, et trop peu respectueux de la réglementation du transport. La course urgente, au moyen de camions dédiés quelque soit la quantité de marchandises, et sous la contrainte de délais serrés, implique un suivi des produits transportés ».


Avec un slogan, « le bon plan pour arriver à temps », la PME opère des lignes régulières allant des Hauts de France à Tours, Nantes, Bourges, Orléans, Chartres, et Le Mans. « Nous travaillons avec environ 1500 clients. 50 % de notre chiffre d'affaires est réalisé avec 1300 d'entre eux. Nos principaux donneurs d'ordres, qui sont d'autres transporteurs, nous appellent souvent pour être dépannés, avec une problématique spécifique et urgente, des lots un peu pointus. Nous arrivons ainsi à sauvegarder nos marges, et nos prix, qui sont calculées précisément en fonction de la charge de travail et des kilomètres à parcourir », explique Yves Sauvage, qui exprime aussi sa volonté d'investir dans des véhicules haut de gamme, et spécifiques, des couteaux suisses du transport : « Nous avons programmé par exemple, au troisième trimestre 2019, d’investir dans un véhicule léger articulé de 7,5 tonnes de poids total roulant. La semi-remorque VL pourra contenir une palette de 2,5 t. Nous savons qu'il existe une demande pour ce type de moyens. Nous avons également investi dans trois camions frigorifiques agréés pour le transport pharmaceutique et toutes marchandises ADR (transport double étage en bi-température). S'ils n'ont pas été commandés pour un client particulier, ces véhicules sont néanmoins toujours en exploitation. C'est sans doute un pari, pour une entreprise de notre taille, de réaliser de tels investissements sans contrat préalable. »



La pression connectée


Yves sauvage manifeste la même conviction concernant les flux d'informations. « Nous sommes dans la maîtrise des processus. Lorsqu'un client nous appelle, notre système informatique identifie l'interlocuteur. Nous sommes capables de répondre en quelques instants, d'affecter un chauffeur et un véhicule. Nous sommes connus pour notre réactivité, notre fiabilité, non seulement dans le nord de la France, mais sur tout l'Hexagone et à l’international. D'ailleurs, sur nos lignes historiques, nous sommes suffisamment connus pour ne pas avoir à chercher de fret. La bourse représente ici entre 5 et 10 % de notre activité. Quant aux flux retour, nous utilisons essentiellement B2PWeb, et Timocom à l’international », précise également l’entrepreneur.     


Pour Martial Libert, responsable d'exploitation et bras droit d’Yves Sauvage, la solution Good Year TPMS, ou système connecté de  mesure de la pression et de la température des pneumatiques, est un élément important de cette fiabilité. Le transporteur est équipé de ce dispositif sur l'ensemble de son parc depuis décembre 2018. Le principe : des capteurs sont installés sur les jantes des pneumatiques. Ils embarquent un GPS communicant, qui enregistre des données toutes les 16 secondes, et les transfère toutes les 15 minutes. Le système lance trois types d’alertes, en cas de perte de pression rapide, de basse pression, ou de température anormalement élevée. Le seuil de pression de référence dépend du type de véhicule et de la position des pneus. La solution « proactive » fournit un tableau analytique qui définit différents niveaux d'usure, rouge pour critique, orange en dehors du seuil défini comme optimal, et mauve quand un pneu est candidat pour un recreusage. Le manufacturier met en avant plusieurs retour sur investissement : la durée de vie allongée des pneumatiques, la réduction du carburant qui peut aller jusqu'à 1,2 %, la diminution du nombre de crevaisons, un processus de maintenance optimisé, et davantage de sécurité.



Sauver un pneu sur deux


« Le retour sur investissement, nous l’avons mesuré le lendemain de la première installation , affirme le chef d'exploitation. En soirée, j'ai reçu une alerte de baisse de pression sur un pneu, j'ai appelé le conducteur, qui était garé sur un parking. Nous avons pu anticiper, et éviter une immobilisation du chargement. » Sur son smartphone, Martial Libert ouvre l'application Good Year, montrant un schéma de la configuration des essieux avant et arrière d'une remorque. TPMS indique la pression de chaque pneu, ainsi que la position du véhicule. Sur une carte, on peut suivre le trajet réalisé. La couleur du poids lourd indique l'état des pressions. Ces informations sont disponibles sur mobile, et bien sûr sur PC. « Aujourd'hui, notre exploitation est capable d'informer les chauffeurs. Nous pouvons les prévenir d'un problème, leur indiquer s'ils peuvent encore rouler, et sur quelle distance. Avant, c'est eux qui nous disaient : j'ai un souci avec un pneumatique. En général, il était déjà trop tard. Nous avons été surpris par le nombre d'alertes reçues, environ une par semaine sur le critère de ‘basse pression due à un corps étranger’, qui se traduit par une crevaison. Comme nous pouvons détecter le problème, nous pouvons réparer le pneu, ce qui nous évite de le changer. Nous pouvons donc conserver le pneumatique plus longtemps. Pour l'instant, sur les 10 interventions enregistrées, nous avons sauvé 5 pneus. Avant, ils partaient systématiquement à la poubelle. A 400 € l'unité, ce n'est pas anodin. », développe le responsable.


« Vis-à-vis de notre donneur d'ordre, nous avons été exemplaires, reprend Yves Sauvage. Les destinataires ont été prévenus à l'avance. L'idée du TPMS est d'abord de fiabiliser encore nos prestations, en écartant tout impondérable lié aux pneumatiques. Nous anticipons les crevaisons. Un autre exemple : Nous avons récemment connu le cas d'une perte de pression lors d'un chargement, dans le cadre d'une course urgente pour l'industrie automobile. Dès le début, nous avons pu en informer notre client. Le destinataire savait que nous allions prendre 2h30 de retard. Nous avons pris rendez-vous avec le fournisseur, qui nous a attendu à la sortie de l'usine. Le pneu était déjà prêt sur une jante. Parallèlement, nous avions déjà organisé notre relais, le chauffeur n'ayant plus suffisamment d'amplitude… Résultat : nous avons pu lever l'incertitude et rassurer tout le monde. Nous avons peut-être évité un accident, et un défaut total de livraison. »

Le coût du dispositif ? « Le plus lourd, c'est l'installation, développe Martial Libert. La première étape d'équipement des pneumatiques revient à 20 € par pneu. L'opération demande quatre heures d'immobilisation du véhicule. Il faut ensuite placer un boîtier communicant sur le châssis, et le brancher au circuit électrique. Pour effectuer cela sur l'ensemble de notre parc, trois jours ont été nécessaires, le temps de deux week-end. Au niveau de l'abonnement, nous payons 3,22 € par pneu et par mois. Mais nous avons amorti cet investissement en quelques semaines. Et en termes d'image, auprès de nos clients, on apporte un vrai service. Lorsqu'on travaille pour l'industrie pharmaceutique ou automobile en flux tendus, le client peut compter sur un respect des délais, et cela fait la différence. »



Des difficultés d'intégration


Le patron de transport replace la gestion pneumatique dans une stratégie d'entreprise résolument dynamique : « En résumé, nous avons identifié avec TPMS une solution à un problème récurrent. Nous l’avons appliquée. Nous sommes persuadés que cette avance technologique nous apporte autant qu'à nos clients. Nous appliquons la même logique sur les questions d'arrimages, de sécurité au chargement, sur les chronotachygraphes numériques, sur les remorques connectées, le suivi des températures. Entre autres progrès, connaître à distance le statut d'un conducteur permet de le contacter judicieusement, de ne pas l'appeler mais lui envoyer un message s'il conduit, etc. L'envoi électronique des missions sur un ordinateur de bord représente aussi une avancée considérable en termes de sécurité comme de fiabilité ».


Vitadis porte de l'informatique embarquée Eliot depuis juin 2007. Il utilise des dalles MDT 512 et 712. La PME exploite également les logiciels de gestion sociale TimeDisk/TimeWeb du même éditeur OMP. Ces solutions sont interfacées avec le logiciel de transport Item Trans. Résultat : « Nous maîtrisons mieux nos délais, et pouvons mieux optimiser le chargement », synthétise Yves Sauvage.

Le transporteur mord à toutes les technologies. Mais il pâtit de la multiplicité des systèmes, des difficultés d'intégration, et du choix entre les plates-formes, de plus en plus complexe. « Nous avons besoin de systèmes d'information automatisés, en relation avec le bureau, et pas avec les conducteurs, relève Yves Sauvage. En effet, ces derniers ont déjà suffisamment à faire avec la conduite, les missions qui arrivent, etc. Il n'est pas question de risquer un accident en les perturbant avec des retours de capteurs multiples. »


Vitadis porte aussi de la télématique Rio sur ses véhicules Man. « Pour l'instant, le boîtier Rio est installé, mais pas connecté. Nous aimerions y intégrer toutes les données du véhicule. D'ailleurs, si nous avons choisi Good Year, plutôt que son concurrent Continental, qui propose un système équivalent, c'est pour une question d'interface : les pressions sont ici remontées au conducteur, sur un petit écran, et pas à l’exploitation. Cela nous semble dangereux, et pas très pertinent, nos hommes ne rentrant pas tous les jours à la base. En outre, nous utilisons des remorques frigorifiques Chéreau. Le carrossier propose un modèle connecté (Next), qui nous a semblé intéressant, mais que nous avons décliné, car ce système n'est pas compatible avec la plate-forme Man (Next serait en revanche interfacable avec les télématiques Renault et Scania). Nous avons donc fait le choix de plusieurs modules de traçabilité, qui ne sont d'ailleurs pas non plus interfacés avec le tracteur » Et de regretter la difficulté, d'autant plus prégnante pour une entreprise de petite taille, de faire communiquer tous ces systèmes informatiques. Les plates-formes sont autonomes, et pas toujours compatibles entre elles. On peut même considérer qu'elles sont concurrentes, sur le marché de la gestion de données des transporteurs.



Payer plein pot


« Les interfaces, il faut vraiment aller les chercher. Cela peut prendre plusieurs mois, et ne jamais aboutir. Pourtant, cette capacité à intégrer les données est au cœur de notre stratégie. C'est ce qui nous permet d'être plus compétitifs face à des prestataires beaucoup plus gros, et souvent moins agiles, affirme Yves Sauvage. Pourquoi devons-nous multiplier les boîtiers de péage, par exemple. Pourquoi l'interopérabilité des systèmes au niveau européen va mettre 10 ans, 20 ans à se concrétiser ? Ce dont nous avons besoin, c'est d'un boîtier installé d'usine, commun à tous les camions, qui nous permette de rouler partout et de remonter toutes les données nécessaires ! On devrait être capable d'imposer aux constructeurs un système homogène. »


Au niveau applicatif,  Vitadis a  fait le choix d'un « bureau virtuel », donc une exploitation hébergée sur Internet (par la société Novatim). Ses unités centrales ne servent qu'à se connecter à une plate-forme qui rassemble tous les logiciels. « C’est exceptionnel en termes de flexibilité. Nous pouvons travailler de n'importe où, et nous sommes plus polyvalents. Néanmoins, nous ne sommes plus vraiment maîtres de notre informatique. Et il y a de gros bémols. Par exemple, nous travaillions avec Map&Guide (PTV) pour le calcul itinéraire, en mode licence. Quand nous sommes passés en mode hébergé, ça a coûté beaucoup plus cher ! Résultat : nous nous sommes passés de ce logiciel, pourtant excellent. Force est de constater que lorsqu'on est petit, on paye plein pot. C'est pareil pour les autoroutes… »



Wilfried Maisy





Six fois géolocalisés


Yves Sauvage relate ses équipements télématiques : « Nos véhicules sont géolocalisés de plusieurs manières : par le boîtier de seconde monte Eliot, qui récupère les fichiers C1B-V1B du chronotachygraphe et affiche les missions en connexion avec le TMS ; par l'informatique constructeur Man Telematix, qui nous sert aussi à mesurer l'usure des freins et d’autres éléments de maintenance du poids-lourd ; par Rio, le nouveau boîtier Man ; par les pneumatiques comme expliqué plus haut.. Même les groupes frigorifiques Carrier sont géolocalisés et communicants. Nous pouvons suivre les courbes de température et de nombreuses autres données sur une application mobile. En plus, nous avons des balises antivol cachées dans les remorques ! Au total, cela fait six systèmes GPS-GPRS sur nos derniers ensembles frigorifiques. Cela fait un peu beaucoup ! Mais nous n'avons pas vraiment le choix. Le module Carrier de suivi de la chaîne du froid, par exemple, inclut le GPS par défaut. Cela permet d'horodater tous les événements. Et une fonction bien pratique de géofencing : nous avons demandé que la courbe de température soit envoyée automatiquement à un client lorsque nous entrons sur son site. Cela évite au conducteur de sortir l'impression papier. »